Requiem à quatre temps

 

La vie m'a abandonné une première fois en 1525
dans un pommier en fleurs
De Saverne à Sélestat
nous étions des milliers
à rêver d'un monde meilleur
Deux heures de combat acharné
et nous voilà presque tous morts
Ils étaient trop forts
les hommes de main du Duc Lorrain

A Scherwiller en 1525
le joli mois de Mai a fauché un rêve
et éparpillé à perte de vue
des corps sans vie
Accrochés  aux branches d'un pommier en fleurs
nous étions une poignée de survivants
conviée à emporter dans l'au-delà
une cause trop printanière
pour franchir les crêtes avoisinantes
ni nos larmes
ni nos prières
n'auront sû attendrir le coeur de mercenaires sanguinaires
les lances encore chaudes du sang de nos frères
ont transpercé nos dernières illusions

Nous étions des paysans et rêvions en vain
d'un monde meilleur et d'un coup de main du destin
 

 

REQUIEM A TROIS TEMPS

La vie m'a abandonné une seconde fois en 1916
loin de ma mère et des habits de fête
Nous étions des millions enlevés à la hâte à nos familles
et priés de livrer nos jeunes poitrines
encore vierges de toute caresse
aux balles ennemies
Esseulé dans la tourmente
et en quête d'un sourire retranché en enfer
j'ai levé la tête
un éclat de lumière et me voilà mort

Excepé les héros et les généraux
nous étions tous du mauvais côté

 

REQUIEM A DEUX TEMPS

La vie m'a abandonné une troisième fois en 1945
à la lisière d'une forêt convertie en sanctuaire
le temps d'un immense carnage

Arrachés à notre vieille plaine 
-éternelle arène- 
et poussés au-delà du Rhin et des repères
nous rêvions  de moissons ou de vendanges
quand les canons tonnaient au loin
Enchaînés à une double méprise
et précipités sous un uniforme austère
dans le froid et la neige
nous étions  quelques  réscapés
refoulés sans discernement 
dans les bras d'une forêt ivre de sang
Seule  une prière s'est osée dans cet enfer
renfort dérisoire face à une armée assoiffée de vengeance
Une rafale
et me voilà mort 
le miracle avait pris du retard

Privé d'insouciance
un corps s'enfonce dans la neige
devant une foule de sapins
encore bouleversée  par tant de violence
 

Nous étions des milliers entre Vosges et Rhin
à mourir sur tous les fronts
pour une cause sans nom

 

REQUIEM ETERNAM

 

Nous étions des milliards à parader
sous un chapiteau délabré
quand prise d'une folie meurtrière
après des siècles de maltraitance
la Terre nourricière a perdu la tête
Sous un feu d'artifice du tonnerre
le vieille mère agonisante a craché toute sa colère

                                                  

                                                 Sur un îlot accroché au néant
                                                 des hommes caressent du regard
                                                 une parure encore fumante
                                                 et promise à une longue convalescence
                                                 avant de retrouver des couleurs.